Bruly Bouabré, un artiste stellaire

Article : <strong>Bruly Bouabré, un artiste stellaire</strong>
Crédit: Rapho via Getty Images
25 juin 2023

Bruly Bouabré, un artiste stellaire

Par une nuit étoilée de mars 1948, Bruly Bouabré reçoit une vision quasi-prophétique. Le ciel s’est déchiré. De son entraille a surgi un groupe de soleils. Sept au total. Sacré Bruly Bouabré, un artiste stellaire. La divinité lui confie une mission presque impossible. Laquelle ? Dire aux hommes dans quelle langue Dieu désire dorénavant parler aux hommes : dans la langue bété. Nan. Je déconne. Bruly Bouabré est un artiste stellaire. Il doit inventer l’écriture bété, codifier cette langue magique. Les hommes, surtout ses pairs, vont lui en faire voir de toutes les étoiles. Comme quoi difficile d’être un mec de vision parmi des céciteux.
Portrait du poète ivoirien Frédéric Bruly Bouabré à Abidjan, en mars 1995, Côte d’Ivoire. (Photo by Francis CHAVEROU/Gamma-Rapho via Getty Images)

Connu en particulier comme l’inventeur de l’écriture bété, Frédéric Bruly Bouabré (1923-2014) était un artiste stellaire avec une vue holistique. Il était à la fois dessinateur, conteur et poète. Ça en fait des cordes à son arc. Voilà comment, l’artiste stellaire se présente : « Le ciel s’ouvrit devant mes yeux et sept soleils colorés décrivirent un cercle de beauté autour de leur Mère-Soleil, je devins Cheik Nadro : celui qui n’oublie pas. » Les étoiles lui ont parlé. Bouabré, l’artiste, a reçu une vision stellaire, cosmique. Aussi va-t-il, toute sa vie, s’adonner à théoriser cette vision, lui donner une démarche scientifique. Bref, Bruly Bouabré va, tout au long de sa vie, bâtir un système de communication qui tient de l’ordre de l’universel.

Une écriture Bété

Une décennie, pile-poil, après sa nocturne révélation, Bruly Bouabré invente l’alphabet bété. Pendant longtemps, les autorités le marginalisent et l’ignorent. En un mot : personne ne le prend vraiment au sérieux. C’est que sept ans plus tard que Théodore Monod, alors directeur de l’Institut français d’Afrique noire à Dakar, va chercher à le rencontrer pour qu’il lui parle de son projet scripturaire. Bouabré a bien avancé dans son travail puisque son projet comporte déjà plus de 448 syllabes. Sacré prouesse. Cet artiste hors du commun n’est pas le premier africain à s’intéresser à une langue vernaculaire. Par contre, et c’est ce qui le démarque des autres, il sera le premier à expliquer avec clarté son cheminement scripturaire. Comment jaillit l’écriture bété dans l’esprit de cet artiste ?

L’artiste ivoirien Frédéric Bruly Bouabré lisant l’écriture qu’il a inventée, à Abidjan, en mars 1995, Côte d’Ivoire. (Photo by Francis CHAVEROU/Gamma-Rapho via Getty Images)

Une genèse de l’alphabet bété

Les grandes inventions s’opèrent toujours de façon tout à fait imprévisible. En effet, l’alphabet bété est né d’un grand hasard. D’un de ces petits riens qu’il suffit pour que magie opère. C’est en voulant résoudre une énigme banale que Bouabré arrive à cette découverte. Il se trouve qu’il y a des cailloux de formes assez mystérieuses à l’entrée du village de Békora dans la région de Daloa. Pour Bouabré, ces objets ne sont pas tombés du ciel. Aussi seraient-ils des artefacts, les vestiges d’une écriture disparue, ensevelie dans la poussière d’un lointain passé. Par conséquent, cela voudrait dire que l’Afrique aurait eu une tradition écrite ? Bruly Bouabré, un artiste stellaire, aurait-il mis la main sur quelque chose ?

Un silence autour de Bruly Bouabré, un artiste stellaire

On va faire un petit exercice. Considérons que Bruly Bouabré vient de faire une découverte majeure. Intéressons-nous à sa démarche artistique, linguistique qui n’a rien de flou. Mais, tout le monde l’ignore comme s’il était un nouveau gourou qui aurait un plan machiavélique derrière la tête. Pourtant, sa vie durant, Bouabré l’aura consacrée à maintenir en ‘‘vie’’ une tradition africaine qui partait à vau-l’eau. Le peintre-penseur n’a eu qu’un seul objectif en ligne de mire ; celle de diffuser une nouvelle vision des choses artistiques puisées entièrement des traditions africaines. Bouabré sera pas être reconnu à la hauteur de son talent. Sa vie s’en trouvera chamboulée.

Bruly Bouabré, un héritage artistique ensoleillé

Bouabré a laissé une multitude d’œuvres à la postérité, tant et si bien qu’il a surgi ces dernières années un grand nombre de faussaires. Ses travaux ont révélé qu’il existait bel et bien un système de communication alternatif propre à l’Afrique, tant au niveau linguistique qu’au niveau poétique. On trouve dans ses œuvres un ensemble de réalités et de symboles de langue bété pouvant permettre d’écrire cette langue et de la parler correctement. Sans le moindre doute, Bouabré est un héritage culturel à préserver à tout prix. Les européens l’ont perçu. Cela m’amène à reprendre le bon vieux stéréotype. Les blancs, il faut le reconnaitre, ont meilleur goût que les noirs. En effet, c’est en Europe, dans les années 80, que les œuvres de Bouabré commencent à taper dans l’œil des galeries et des musées européens. Biennale de Venise de 1993 et Documenta 11 de Kassel, en 2002. Veillons à perpétuer l’héritage de Bruly Bouabré, l’artiste stellaire.

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