DeKimbirila, un artiste réparateur

Quand je dis : ‘‘vagins lacérés au couteau et emplis de tessons de verre’’, ‘‘des femmes mutilées devant leurs enfants’’, ‘‘attaques des jeunes filles excisées’’, ‘‘des femmes dont l’appareil génital est détruit à lame’’. Exact ! Denis Mukwege, le chirurgien plastique congolais et prix Nobel de la paix. En effet, il répare les victimes de viols et de mutilations sexuelles en RDC. A plus de 3,000 km du Congo, à Abidjan, un autre grand artiste réparateur : DeKimbirila. Il est artiste plasticien, il a remporté de nombreux prix. Il répare lui aussi les femmes.

Je veux dédier ce papier à la gloire d’un artiste ivoirien, assez méconnu du grand public, vivant au Québec. Il s’agit de Youssouf Kourouma. DeKimbirila, un artiste réparateur. C’est un graphiste de talent et un plasticien ‘‘confirmé’’. Et, aussi, on peut dire qu’il est l’un des plus bels emblèmes des arts. Ses toiles sont des oiseaux rares, comme le Quetzal. Justement, il se fait appeler ainsi. Alors que les grandes galeries du monde s’arrachent ses œuvres, que certaines de ses toiles se vendent à plusieurs milliers de $ US, il est encore très peu connu des ivoiriens. À la vérité, les ivoiriens ne sont pas ancrés dans l’histoire des arts.

DeKimbirila, un chirurgien reconstructeur

Dans cette œuvre inspirée de la lutte contre l’excision (2009), Quetzal rivalise avec la nature. Vue de face, cette vulve recousue mutilée par d’impudentes mains emprunte des formes non seulement parfaite, mais vraies : la forme ovale du vagin, la vulve entrouverte – avec ses régions génitales, sympathiques et parallèles, ses massifs caressants, ses bas et hauts reliefs, ses disharmonies anatomiques –, les minuscules muscles à la racine du bout de nerfs, exorbité,… Et que dire des points de suture dont l’explication m’échappe encore. C’est un véritable prodige de finesse que réalise là, ce chirurgien-nounou. De cette correction impeccable qui remet en ordre cet atlas vulvaire avec son cli-cli glandilleux, ses lèvres à nouveau irriguées, son méat urétral avec ses lacunes nerveuses. On décèle dans cette œuvre de la beauté, mais aussi de la douleur.

De Kimbirila est un artiste réparateur. Un génito-plasticien. Contrairement aux chirurgiens plastiques, sa vagino-plastie corrige des mutilations génitales, comme l’excision. Son but ne tend pas vers une chirurgie plastique élective associée à des fins cosmétiques.

DeKimbirila, un artiste hors norme

Quand on examine de près cette œuvre magnifique de DeKimbirila, cet artiste remarquablement pénétré de la mystique africaine, on est assailli de questions.  Des questions dans le genre de celle-ci : comment Quetzal arrive-t-il à (re)produire aussi fidèlement les ravages (de l’excision ?!) d’un couteau en fer, mal aiguisée sur cette région génitale féminine ? Tout simplement avec des trucs du quotidien : de la protéine naturelle – farine de riz, boue, blanc d’œuf. Il n’hésite pas à aller plus loin en utilisant des matériaux comme de la ‘‘poussières de tombes’’, des ‘‘ossements humains’’, des ‘‘cheveux funèbres’’, des ‘‘résidus de Tampax tachés de menstrues séchées’’, du ‘‘sang’’, le cola, le café…

Des œuvres imprégnées de la mystique africaine

Les œuvres de De Kimbirila sont toutes pénétrées de la mystique africaine. D’abord, elles n’obéissent à aucune tradition artistique connue jusque-là : tantôt expressionnisme direct. Tantôt surréalisme indirect. Impossible de l’enfermer dans un quelconque mouvement artistique. Si l’artiste a su donner à cette œuvre une expression aussi éloquente du réel, cela est en partie à une puissance d’exécution poussée à l’extrême. A côté de l’esthétique toute particulière de cette œuvre, il y a la division des tons, la juxtaposition des couleurs,… qui se mêlent pour donner à cette œuvre tout son éclat. Dans cette œuvre, cette souillante besogne, la virtuosité de l’artiste flambe comme un brandon dans les dédales obscurs d’un labyrinthe.